Parmi les objectifs que se fixe le droit des entreprises en difficulté figure celui d’éviter la curée. La curée est cette cérémonie clôturant la chasse, au cours de laquelle, pour récompenser les chiens, on livre à ceux-ci les restes de l’animal pris, créant ainsi un bruyant tohu-bohu dont les meilleurs quadrupèdes, c’est-à-dire les plus forts, ressortent généralement repus, ayant abandonné aux plus faibles quelques ossements décharnés, s’il en restait encore.
Quand une entreprise traverse des difficultés telles qu’elle n’est plus en mesure de faire face à ses créanciers, ou menace de ne plus l’être, une véritable tension se crée, qui peut la conduire à sa perte.
Pour le dirigeant, ses créanciers ou ses débiteurs, le spectacle d’une entreprise qui se meurt peut, en générant la crainte de pertes financières ou, à l’inverse, en attisant l’espérance de profits opportuns, engendrer nombre d’abus qu’il convient de canaliser.
La discipline collective et individuelle est alors de mise pour, autant que possible, permettre à certains de récupérer leur part, et éviter que d’autres ne s’arrogent celles des autres : de curée il ne saurait être question.
Le droit des procédures collectives (ou droit des entreprises en difficulté) prévoit un grand nombre de règles à cette fin, mais il peut être nécessaire de recourir au droit pénal, qui prévoit de nombreuses infractions et peines pour réprimer les abus.
On l’a vu dans un article précédent[1], la période de difficulté que traverse l’entreprise peut être le siège de l’infraction bien connue de banqueroute, si le dirigeant conduit volontairement son entreprise à la faillite, évitant ainsi de payer ses créanciers.
Cependant, la loi érige également de nombreux autres comportements en infractions pénales[2], qui peuvent être commises par le dirigeant (désigné sous le vocable de « débiteur » puisqu’on considère qu’il a des dettes qu’il ne peut plus payer), par des tiers en relation avec le débiteur, par des créanciers, ou par des auxiliaires de justice.
Il conviendra d’examiner ces quatre séries d’infractions, étant précisé qu’il sera fait renvoi à l’article sur la banqueroute pour la détermination des personnes pouvant être qualifiées de « débiteur », ou banqueroutier.
1. Les infractions commises par le dirigeant (ou débiteur)
Sont punis des peines prévues pour la banqueroute[3] les comportements suivants, commis par les dirigeants :
- passer un acte (consentir une hypothèque ou un nantissement, faire un acte de disposition) ou payer une dette née antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, ou sans l’autorisation du juge-commissaire[4] ;
- effectuer un paiement en violation des modalités de règlement du passif prévues au plan de continuation, ou aliéner un bien aliénable sans l’autorisation du tribunal[5] ;
- détourner ou dissimuler de mauvaise foi, même sous le nom d’autrui ou un nom supposé, tout ou partie de ses biens, la tentative étant incriminée ;
- se reconnaître débiteur de fausses dettes.
2. Les infractions commises par les tiers en relation avec le débiteur
Certains délits – y compris la banqueroute – ne peuvent être commis qu’avec l’aide d’un tiers de mauvaise foi, lequel, outre des poursuites pour complicité de l’infraction principale, sera passible des peines de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, pour les infractions autonomes consistant dans le fait de :
- passer avec le débiteur un des actes qui lui sont interdits (acte de disposition étranger à la gestion courante, hypothèque, gage, nantissement, sans l’autorisation du juge-commissaire), en connaissance de la situation de celui-ci ;
- recevoir un paiement de dette irrégulier, non conforme au mode de règlement du passif prévu par le plan ;
- céder ou acheter un bien rendu inaliénable en application de l’article L. 642-10 du code de commerce ;
- soustraire, receler ou dissimuler tout ou partie du patrimoine mobilier ou immobilier du débiteur soumis à une procédure de redressement ou de liquidation, y compris le fait d’omettre frauduleusement de déclarer des biens du débiteur, dans le but de soustraire à la masse de la faillite des biens lui appartenant (Cass. crim., 11 février 1959, bull. crim. n°96) ;
- déclarer frauduleusement des créances fictives antérieures au jugement d’ouverture de la procédure, soit en son nom, soit par interposition de personne.
3. Les infractions commises par le créancier
La loi punit des peines prévues pour l’abus de confiance[6] le fait, pour un créancier, de passer avec le débiteur ou un tiers agissant pour son compte, une convention comportant un avantage particulier à la charge du débiteur, postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective.
Si cette convention a été passée avant l’ouverture de la procédure avec le débiteur en état de cessation des paiements, ce texte ne sera pas applicable, mais le créancier pourrait toutefois être poursuivi pour complicité de banqueroute.
L’intérêt de cette incrimination est de dissuader certains créanciers, qui peuvent être réunis en comités, de promettre au débiteur de voter une résolution dans son intérêt, en échange d’un avantage particulier.
Les juridictions répressives peuvent, en outre, prononcer la nullité d’une telle convention.
4. Les infractions commises par les auxiliaires de justice
On appelle « organes de la procédure » les différents professionnels qui interviennent pour gérer, de façon ordonnée et juste, la période de difficulté traversée par l’entreprise, dans l’objectif d’apurer le passif, poursuivre l’activité et maintenir les emplois.
Tribunal de commerce, juge-commissaire, ministère public, mandataire judiciaire (qui peut devenir commissaire à l’exécution du plan et/ou mandataire liquidateur), administrateur judiciaire, contrôleur(s) : tous jouent un rôle bien précis pour tenter de parvenir à ces trois objectifs.
Parmi ces différents organes, les délits envisagés ici[7] s’appliquent à ceux d’entre eux qui sont auxiliaires de justice, c’est-à-dire désignés par le juge-commissaire : administrateur, mandataire judiciaire, liquidateur ou commissaire à l’exécution du plan, y compris toute personne désignée en application de l’article L812-2[8].
Il s’agit des délits suivants :
- malversation, quand l’auxiliaire porte volontairement atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur soit en utilisant à son profit des sommes perçues dans l’accomplissement de sa mission, soit en se faisant attribuer des avantages qu’il savait n’être pas dus ;
- acquisition ou usage des biens du débiteur, quand l’auxiliaire de justice fait usage de ses pouvoirs dans son intérêt, usage qu’il savait contraire aux intérêts des créanciers ou du débiteur.
Leurs peines sont celles qui sont prévues pour le délit d’abus de confiance aggravé, à l’article 314-2 du code pénal[9].
Jean-Eloi de BRUNHOFF, Avocat
Bernard RINEAU, Avocat associé
[1] A l’exception des peines complémentaires de l’article L. 654-5 du code de commerce, de la faillite personnelle et de l’interdiction de gérer, soit les peines de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
[2] Autorisation prévue à l’article L. 622-7 du code de commerce.
[3] Article L. 626-14 du code de commerce.
[4] Les infractions pénales relatives aux entreprises en difficulté (I) : la banqueroute
[5] Principalement prévues aux articles L654-8 à L654-15 du code de commerce.
[6] Trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
[7] Article L654-12 du code de commerce.
[8] Le tribunal peut, après avis du procureur de la République, désigner comme mandataire judiciaire une personne physique justifiant d’une expérience ou d’une qualification particulière et remplissant des conditions fixées, ainsi que tout huissier de justice ou commissaire-priseur en qualité de liquidateur dans certains cas.
[9] Sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.