Aux termes de deux arrêts des 25 janvier et 18 mai 2017, ayant eu les honneurs d’une publication au bulletin, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel l’article R.313-1 du Code de la consommation impose au juge du fond de vérifier si l’erreur de TEG alléguée dépasse ou non le seuil d’une décimale.
Cette jurisprudence, largement critiquable d’un point de vue juridique, pourrait toutefois ne pas perdurer.
- L’erreur de la Cour de cassation,
- La crainte des banques quant à possible réponse de la CJUE.
I. L’erreur de la Cour de Cassation
Par un arrêt non publié du 1er octobre 2014 (Cass. civ.1, n°13-22.778) la Cour de cassation avait posé le principe selon lequel l’article R.313-1 du Code de la consommation imposait au juge du fond de vérifier si l’erreur de TEG alléguée dépassait ou non le seuil d’une décimale.
Aux termes de deux arrêts ayant cette fois-ci eux les honneurs d’une publication au bulletin, la cour de cassation a rappelé ce principe :
« Attendu que, pour accueillir les demandes, l’arrêt retient que les parties ont entendu fixer un taux effectif global à trois décimales et que l’erreur affectant la troisième emporte la nullité de la stipulation du taux des intérêts conventionnels
Qu’en statuant ainsi, alors que l’écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de crédit et le taux réel était inférieur à la décimale prescrite par l’article R.313-1 du code de la consommation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». (Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n°15-24-607, Publié au bulletin)
« Mais attendu qu’ayant relevé que l’écart entre le taux effectif global de 5,672 % l’an mentionné dans le contrat de prêt et le produit du taux de période, non contesté, par le nombre d’échéances de remboursement dans l’année, 5,743 %, était inférieur à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 du code de la consommation, c’est à bon droit que la cour d’appel a rejeté la demande d’annulation de la clause d’intérêts conventionnels du contrat de prêt ; que le moyen n’est pas fondé ». (Cass. com., 18 mai 2017, n°16-11.147, Publié au bulletin)
Cette position de la Cour de cassation, largement favorable aux banques, est naturellement reprise par ces dernières lorsque leurs clients contestent les TEG qui leur ont été appliqués.
Ceci étant, l’ancien article R.313-1 et le nouvel article R.314-2 du Code de la consommation énoncent-ils réellement que le TEG doit être exact à une décimale près ?
La réponse est clairement non.
Ces articles disposent en effet que :
« Lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le RAPPORT entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire. Le RAPPORT est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale. »
La Cour d’appel de DOUAI a d’ailleurs très récemment rendu à ces textes leur signification exacte :
« De plus et malgré ce qu’affirme l’appelante, l’ancien article R.313-1, II, alinéa 4 du code de la consommation prévoyait la possibilité d’une erreur d’au moins une décimale seulement lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global étant alors obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire. Le rapport ainsi calculé, le cas échéant, peut l’être avec une précision d’au moins une décimale. C’est donc ce rapport entre la durée de l’année civile et la durée de la période qui doit être précis d’au moins une décimale, et non le taux effectif global lui-même, qui ne peut donc pas être arrondi par le prêteur.
Il y a donc lieu, comme en première instance, de prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels des prêts n°100110912 et n°100110917 et d’ordonner la substitution du taux légal à compter de la date de conclusions de ces contrats de prêts, sauf en ce qui concerne la période allant du 31 octobre 2013 au 31 octobre 2015 pour laquelle le plan de conventionnel de redressement définitif avait fixé un taux de 0%.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a prononcé la déchéance du droits aux intérêts conventionnels des contrats de prêt n°100110912 et n°100110917 et la substitution du taux légal à compter de la date de conclusions de ces contrats mais il sera infirmé en ce qui n’a pas fait droit à la demande de retrait des intérêts conventionnels pour la période allant du 31 octobre 2013 au 31 octobre 2015 » . (DOUAI, ch. 8, section 3, 12 juillet 2018, n°17/04784)
C’est donc bien le rapport entre la durée de l’année civile et la durée de la période qui doit être précis à une décimale près, et non le taux effectif global lui-même, qui ne peut donc pas être arrondi par le prêteur.
II. La crainte des banques quant à une possible réponse de la CJUE
Par jugements des 1er février et 11 octobre 2017, le Tribunal d’Instance de LIMOGES a saisi la CJUE de questions préjudicielles relatives à cette tolérance de la Cour de cassation à l’égard de l’erreur inférieure à une décimale en matière de crédit à la consommation.
Les questions étaient ainsi rédigées :
« Le taux annuel effectif global d’un crédit à la consommation étant de 6,75772 %, la règle issue des directives nos 98/7/CE du 16 février 1998 et 2008/48/CE du 23 avril 2008 selon laquelle, dans la version française, “le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale. Si le chiffre de la décimale suivante est supérieur ou égal à 5, le chiffre de la première décimale sera augmenté de 1”, permet-elle de tenir pour exact un TAEG indiqué de 6,75 % ? »
« Le TAEG d’un crédit étant de 5,97377 %, la règle issue des directives 98/7/CE du 16 février 1998 et 2008/48/CE du 23 avril 2008 selon laquelle « (…) le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale (…) » permet-elle de tenir pour exact un TAEG indiqué à 5,95 % ? » (Tribunal d’Instance de Limoges, 11 octobre 2017, n°17-000561)
Si bon nombres d’acteurs attendaient avec impatience un positionnement de la CJUE, la banque, en l’occurrence BNP PARIBAS, a toutefois opportunément décidé d’abandonner toutes poursuites, de sorte que les questions préjudicielles ont, sans doute au plus grand soulagement des banques, dû être retirées.
La cour d’appel de LIMOGES a ainsi dû décider que :
« la banque s’étant désistée de son action en paiement, les éléments d’interprétation du droit de l’Union européenne qui font l’objet de la question préjudicielle posée par le tribunal d’instance statuant au contentieux dans cette instance ne sont plus nécessaires à la solution du litige ». (Cour d’appel de Limoges, 17 mai 2018, n°17/01433)
La question reste donc pour l’heure entière et on ne peut qu’espérer que d’autres questions préjudicielles viendront tenter d’éclairer la nécessité de démonstration d’une erreur d’au moins une décimale en matière de TEG erroné.
Grégory DUBERNAT, Avocat
Bernard RINEAU, Avocat Associé