Dans les régions économiquement dynamiques comme les Pays de Loire, la problématique souvent rencontrée par une entreprise en matière de ressources humaines est d’arriver à recruter puis à retenir les salariés dont elle a besoin. Dans ce contexte, les mesures prises récemment par le gouvernement en matière de rémunération, au sens large, méritent attention.
La loi de financement de la sécurité sociale n°2019-1446 du 24 décembre 2019 reconduit pour 2020 la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA), mesure-phare adoptée suite à la crise des « gilets jaunes » (loi n°2018-1213 du 24 décembre 2018).
Cette reconduction d’un dispositif qui a concerné un grand nombre d’entreprises et de salariés fin 2018/début 2019, se comprend : 5 millions de salariés auraient touché la PEPA, versés par plus de 400.000 entreprises pour un montant de 400 euros en moyenne. Cette prime exceptionnelle, pouvant atteindre 1.000 € par personne, était totalement exonérée d’impôt sur le revenu, de cotisations et contributions sociales (à différentes conditions).
Les employeurs qui voudraient faire à nouveau bénéficier leurs salariés d’un tel coup de pouce doivent toutefois être vigilants : la « PEPA 2020 » comporte plusieurs nouveautés.
En particulier, le Gouvernement en fait un levier pour promouvoir encore davantage un outil qui lui tient à cœur car permettant un partage de la valeur créée par les entreprises avec leurs salariés : l’intéressement des salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise (art. L.3311-1 et suivants du Code du travail).
La présentation des principales règles régissant la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat en 2020 (I) est donc une excellente occasion de faire le point sur le mécanisme de l’intéressement (II). Celui-ci a fait l’objet de plusieurs réformes récentes qui en augmentent l’attractivité, surtout pour les entreprises de moins de 250 salariés.
I. La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat en 2020
A) Des caractéristiques communes à la PEPA 2018-2019 …
La PEPA 2020 a de fortes ressemblances avec la version antérieure (« PEPA v1 »).
Tout d’abord, l’employeur a une totale liberté de verser cette prime, ou non. S’il décide de le faire, il peut en moduler le montant en fonction de différents critères : Classification, Rémunération, Durée du travail, Durée de présence effective pendant l’année écoulée…
Tout caractère discriminatoire est bien sûr interdit, et les congés pour cause de maternité, paternité ou adoption et le congé parental d’éduction sont pris en compte comme temps de présence effective.
Le montant maximum est toujours de 1.000 € et cette sommes exonérée de tout prélèvement social ou fiscal. On rappelle que les employeurs peuvent aller au-delà, la quote-part excédant mille euros étant alors intégralement cotisable et imposable.
Les salariés concernés par les exonérations sociales et fiscales sont toujours ceux ayant une rémunération inférieure à trois fois la valeur du SMIC annuel, soit en 2020 55.419 € bruts sur 12 mois pour un temps plein (35 heures hebdomadaires), le salaire minimum de croissance étant passé à 10,15 euros brut au 1er janvier.
Enfin, la PEPA ne doit pas se substituer à des augmentations de rémunération, ni à des primes prévues par ailleurs (accord salarial, contrat de travail ou usage), ni à aucun autre élément de rémunération.
S’agissant du formalisme, le montant de la prime ainsi que ses autres caractéristiques (critères, modulation entre les bénéficiaires, plafonnement…) peuvent toujours faire l’objet d’une décision unilatérale de l’employeur, qui en informe le Comité social et économique (CSE). Ils peuvent aussi donner lieu, comme précédemment, à un accord conclu de différentes façons :
- accord collectif de travail entre l’employeur et un ou plusieurs délégués syndicaux ;
- accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives ;
- accord au sein du CSE à la majorité des représentants du personnel ;
- ratification d’un accord proposé par l’employeur à la majorité des 2/3 du personnel.
B) … avec des nouveautés notables pour 2020
Tout d’abord, les modalités de détermination des salariés éligibles évoluent :
- Les salariés bénéficiaires doivent être liés par contrat de travail à la date de versement de la prime. Dans la PEPA v1, les salariés devaient être en contrat au 31 décembre 2018 (ou à la date de versement si celle-ci était antérieure) ;
- Le seuil de trois fois le SMIC brut mentionné ci-dessus s’apprécie sur les 12 mois qui précèdent le mois de versement de la prime, et non pas au cours de l’année civile précédente.
Un travail préparatoire minutieux s’impose donc pour correctement anticiper la date de versement de la PEPA 2020 et bien cibler les salariés.
Ensuite, la période de versement de la PEPA a augmenté : précédemment, la prime pouvait être versée au plus tard le 31 mars 2019. Avec la PEPA 2020, les employeurs ont jusqu’au 30 juin.
Surtout, les exonérations sociales et fiscales sont désormais conditionnées à la mise en place par l’entreprise d’un dispositif d’intéressement à la date de versement de la prime (sauf pour les associations et fondations reconnues d’utilité publique).
La durée d’un accord d’intéressement est en principe de 3 ans. Ceux conclus entre le 1er janvier et le 30 juin 2020 peuvent avoir une durée inférieure, à condition qu’elle soit au minimum de 1 an. Cette dérogation à l’article L3312-5 du Code du travail a comme objectif de permettre aux entreprises de tester les accords d’intéressement.
II. Une incitation continue en vue du développement des accords d’intéressement, dans tous les types d’entreprises
La politique menée par le Gouvernement va clairement vers un renforcement de l’intéressement et un certain recul de la participation, considérée comme trop contraignante.
Après avoir rappelé les principaux repères à avoir en matière d’intéressement (A), il convient de souligner en quoi ce dispositif concerne toutes les entreprises, quelle que soit leur taille (B).
A) Principaux repères relatifs à l’intéressement
1°/ Des règles générales laissant une grande latitude aux entreprises
L’intéressement (art. 3311-1 et s. du Code du travail) est une simple faculté, ouverte à toute entreprise à jour de ses obligations en matière de représentation du personnel. S’il est mis en place, il doit concerner tous les salariés.
L’intéressement permet d’attribuer chaque année aux salariés (et aux dirigeants dans les entreprises < 250 salariés) une somme plus ou moins élevée, dont le montant dépend des résultats ou de la performance de l’entreprise. Certaines entreprises versent ainsi l’équivalent d’un, deux voire trois mois de rémunération.
La formule de calcul qui détermine la somme attribuée aux bénéficiaires est élaborée librement par l’entreprise, même si elle doit respecter certains principes : les éléments du calcul doivent être liés aux résultats et/ou à la performance de l’entreprise et elle doit avoir un caractère aléatoire. En fonction de son activité, il peut s’agir d’indicateurs de qualité, de productivité, de satisfaction client, de sécurité, etc. Un faible aléa est suffisant mais il faut que ce caractère aléatoire existe, l’absence de tout résultat ou performance débouchant sur une absence de prime d’intéressement.
Une entreprise peut ainsi utiliser le mécanisme de l’intéressement pour orienter les comportements de ses salariés vers les objectifs qui lui sont propres, au travers du ou des critères déclenchant l’intéressement. Par exemple, une entreprise fabricant des produits en verre pourrait retenir la diminution du taux de casse comme critère, et une centrale de réservation de voyages choisirait le nombre d’appels entrants traités par jour.
L’entreprise est aussi libre de fixer les règles relatives à la répartition du montant global d’intéressement entre les salariés : de façon uniforme, proportionnellement au salaire ou au temps de présence, ou bien en combinant ces différents critères.
Des limites doivent être respectées. Elles sont relativement élevées, puisqu’il faut respecter :
- Un plafond individuel : chaque salarié ne peut recevoir plus de 75% du PASS, soit 30.852 € en 2020 (jusqu’en 2019 ce seuil était fixé à 50%) ;
- Un plafond collectif : l’intéressement total distribué ne peut excéder 20% des rémunérations annuelles brutes versées par l’entreprise.
L’intéressement constitue ainsi un outil de récompense de la performance collective, à utiliser parallèlement aux divers bonus et primes qui valorisent la performance individuelle.
2°/ Un régime social et fiscal incitatif
Contrairement aux bonus individuels, qui ont la nature de salaire, les primes d’intéressement n’entrent pas dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale. Du fait de ce régime favorable, le processus de mise en place d’un accord d‘intéressement implique (i) l’administration du travail (DIRECCTE) et (ii) l’URSSAF. Leur intervention vise à vérifier que les règles prévues pour bénéficier de cette exonération de cotisations sont bien respectées. Elle prémunit l’entreprise de tout redressement à l’avenir.
Un prélèvement obligatoire a toutefois alourdi le coût de l’intéressement au fil des années : le forfait social, qui pèse sur l’employeur, au taux de 20% (sauf rares exceptions). Jusque récemment, il pénalisait clairement le développement de l’intéressement. Depuis 2019, les entreprises de moins de 250 salariés sont exonérées de forfait social. Dans ces entreprises, l’employeur et les salariés sont dès lors exonérés de tout prélèvement obligatoire, hormis CSG / CRDS.
En termes d’impôt sur le revenu (IR), la prime d’intéressement peut être :
– soit complètement exonérée, si le bénéficiaire opte pour le versement sur un plan d’épargne salariale. La somme est bloquée un certain temps (durant 5 ans sur un PEE, jusqu’à la retraite sur un PERCO ou PERECO), mais il existe divers cas de déblocage anticipé ;
– soit assujettie à l’IR comme salaire, si le bénéficiaire en demande le versement immédiat.
Les sommes versées sont déductibles du bénéfice imposable de l’entreprise.
B) Une mise en place possible dans les entreprises de toutes tailles
Longtemps l’intéressement a été perçu comme réservé aux grandes entreprises. La nécessité de conclure un accord collectif, en particulier, était vu comme un frein : ne fallait-il pas avoir des interlocuteurs syndicaux, « privilège » rare et réservé aux employeurs importants ?
1°/ La conclusion d’accords à la portée de tous
Les possibilités sont maintenant nombreuses de conclure des accords collectifs même si aucun syndicat n’est présent dans l’entreprise ou le groupe. Ceci est particulièrement vrai en matière d’intéressement, et depuis de nombreuses années. Un dispositif d’intéressement est mis en place par la conclusion d’un accord d’entreprise ou de groupe, pouvant intervenir soit :
- par convention ou accord collectif de travail, entre l’employeur et un/des délégués syndicaux ;
- par accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives (salariés mandatés) ;
- par accord conclu au sein du CSE, à la majorité des représentants du personnel ;
- par ratification d’un projet d’accord proposé par l’employeur, à la majorité des 2/3 du personnel.
Ainsi la mise en place de l’intéressement est possible dans tout type d’entreprise, qu’elle ait plus ou moins de 50 salariés, qu’elle dispose ou pas d’un CSE, et que des syndicats y soient implantés ou non.
2°/ La possibilité de mise en place par décision unilatérale de l’employeur
Une nouveauté récente doit être signalée : dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’intéressement peut aussi être mis en place par décision unilatérale de l’employeur (DUE).
Ce cas de figure concerne les secteurs où un accord de branche a été conclu pour adopter un accord d’intéressement-type et à condition que cet accord ne propose qu’un seul modèle d’intéressement.
La possibilité est restreinte mais peut néanmoins apporter une solution dans certaines situations. La simplicité d’adoption d’une DUE est de nature à séduire de nombreux chefs d’entreprise.
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Ainsi, tant les grandes entreprises que les TPE, PME ou ETI disposent d’outils variés et souples pour récompenser et motiver leurs salariés. Parfois leurs dirigeants peuvent aussi en bénéficier.
Le champ des possibles est vaste et permet à toute entreprise de développer une politique d’attractivité et de rétention des talents !
Xavier CAROFF, Avocat, en charge du Pôle Social
Bernard RINEAU, Avocat Associé